Freelance et salariat : quelles différences pour les métiers du numérique ?
Quelles sont les différences et les points communs du métier de développeur au quotidien en entreprise et en freelance ?
Félix Girault, développeur front-end, tech lead chez Empreinte Digitale et Emmanuel Pelletier, développeur freelance, partagent leurs expériences et leur quotidien.
Témoignage d'un développeur web indépendant
Emmanuel Pelletier, est un développeur web depuis 13 ans et indépendant depuis 4 ans. Il aide à mettre en place des projets numériques, principalement en codant, mais pas seulement. Il est aussi formateur en école sur des thématiques liées au développement web.
Son client type ? C’est une équipe qui a sa boutique en ligne, ou une idée de solution numérique, et qui a besoin d’un indépendant pour l’épauler de A à Z. Il fait aussi du pur développement web en sous-traitance, et de l’accessibilité numérique principalement avec des clients dans le public.
"Ce qui m’a amené à être indépendant, c’est la volonté de ne pas faire que du développement.
De mon expérience, dans une entreprise de services en tant que développeur, tu es amené à discuter quelques fois avec le client, le graphiste, le responsable produit… Mais tu es rarement l’interlocuteur principal avec le client, et tu es rarement décisionnaire sur les aspects qui ne sont pas techniques.
Je sentais que j’avais envie d’avoir plus de maîtrise sur une « solution numérique » dans sa globalité, et je savais que je pouvais aider des gens là-dessus."
"Par exemple, j'ai actuellement un client qui a un magasin de vêtements. Lui, il connaît très peu le web. Je mets en place son site e-commerce techniquement, mais je le conseille aussi sur tous les aspects numériques : des aspects produits, expérience utilisateur, interface, parfois même des points qui s’approchent du marketing digital.
Je peux vraiment avoir une position complète de « fabricant de produit numérique » auprès d’un client.
Évidemment, loin de moi l’idée de croire que je suis expert incontesté sur tous les points ; mais un client qui a 15 000 € de budget, et non 150 000, va souvent apprécier cette approche."
Emmanuel Pelletier
Témoignage d'un développeur salarié dans une entreprise
Félix Girault, est développeur depuis 13 ans, il a eu une petite expérience d’indépendant pendant deux ans en sortie d’études, puis il a été embauché chez Empreinte Digitale en 2012.
Il a été développeur back-end et est maintenant développeur front-end et co-tech lead.
En quoi cela consiste ? En plus des tâches de développement, ce rôle consiste à animer l’équipe de développement afin de favoriser les bonnes pratiques et l’émulation collective du pôle développement. Il travaille principalement pour des clients privés et publics. En tant que développeur front, il travaille aussi avec le pôle marketing, le pôle accessibilité / éco-conception, il fait un peu d’open-source, des projets internes, et pleins de petites choses.
Tu as fait un peu de freelancing, qu’est-ce qui t’a donné envie de monter ce projet, pourquoi tu l’as quitté et qu’est-ce qui te t'empêcherait de repasser freelance aujourd’hui ?
"Je donnerai les mêmes arguments que Manu mais à l’inverse !"
"Ce sont deux manières vraiment différentes de travailler : soit une approche globale plus solitaire, soit une expertise dans un domaine plus restreint mais en équipe, et je pense que ça n’est pas applicable aux mêmes typologies de projet. Par exemple, avec des clients comme le CROUS, il te faut une équipe large avec des gens vraiment experts.
Et puis tu as une forme de sécurité du salariat bien sûr. En plus, être en SCOP permet de s’engager plus largement qu’en étant “simple” salarié, c'est une espèce d’entre-deux qui me va bien. Je n’aurais pas envie d’aller vers du freelancing tout de suite ; même si cela apporte une liberté supplémentaire et que tu peux vraiment gérer un projet de A à Z, ce qui est intéressant également."
Quelles-sont selon vous les différences au quotidien entre vos statuts respectifs ?
"Je pense que l’élément principal… c’est la charge mentale plus importante en indépendant.
Comme tu le dis, si tu as un problème de matériel, ou si tu es malade, bref, il se passe un quelconque petit imprévu, ça a tout de suite plus d’impact quand tu es tout seul. Et en plus de l’aspect production, tu fais ta compta, ta prospection, ta relation clients, partenaires, tes factures… Tu as beaucoup de choses en tête, souvent.
Je ne dirais pas forcément que je bosse plus que quand j’étais salarié, par contre la charge mentale au quotidien, et qui reste assez facilement chez toi le soir, est bien là. Au final je pense que l’indépendance demande plus de rigueur pour bien scinder ta vie pro et ta vie perso.
L’autre point radicalement différent, c’est la gestion de mon planning."
Emmanuel Pelletier
En devenant freelance et en perdant l'entourage d'une équipe, comment combles-tu ce vide et perçois-tu les changements ?
"C’est une bonne question ! Sur l’aspect social, je vois une grande différence.
Quand tu es dans une entreprise, tu as cet aspect “tous dans le même bateau”, tous ensemble, iI y a une cohésion. Tu as des collègues depuis 10 ans avec qui tu partages les succès et les galères, c’est quelque chose qui devient fort.
En indépendant, tu n’as plus vraiment ça. Même si tu es prestataire intégré à une équipe sur plusieurs mois, tu vois toujours une différence, le lien n’est pas le même.
Mais tu as d’autres choses. En travaillant dans un lieu de coworking comme je fais (à WeForge, en centre-ville d’Angers), tu rencontres beaucoup de monde, avec qui tu peux potentiellement travailler ou créer des liens. Et en tant qu’indépendant, tu vas pouvoir proposer des prestations plus diverses qui auront un impact sur ce côté social. Je suis par exemple intervenant en école, ce qui est une toute autre dynamique de travail et d’échanges que de la pure production de code.
J’ai plein de collègues à WeForge, mais on parle peu de nos boulots respectifs. C’est rare que les gens demandent de l’aide. Parce que tu déranges quelqu’un qui n’est pas impliqué dans ton projet. Alors qu’en entreprise tu déranges quelqu’un de ton équipe, on peut dire que ça l’aide de t’aider. En indépendant je me suis rendu compte que tu es quand même très solitaire sur l’aspect opérationnel pur."
"J’ai l’impression que tout ça prouve que ton cœur de métier ce n’est plus uniquement le développement mais l’entreprise. Parce que tes discussions vont se faire avec d’autres personnes qui ont des boites mais pas dans le même domaine.
Ce dont tu profites en tant que développeur salarié, c’est d’avoir une équipe de développeurs avec qui partager ton travail, apprendre les uns des autres, et dans ton cœur de métier, et dans ta manière de travailler avec les autres. Après c’est aussi une histoire de caractère, certains aiment travailler en équipe, d’autres seuls.
Chez nous il y a deux versants de l’équipe. Il y a ceux avec qui tu bosses sur tel ou tel projet, et il y a le pôle développement au complet, un peu plus large.
Par exemple, je travaille avec des équipes projets de 3 ou 4 personnes, pour construire quelque chose, avec qui on dialogue beaucoup sur des points très précis. Mais on prend aussi le temps de se réunir avec tous les autres pour échanger, partager de l’info, améliorer nos pratiques communes…"
Félix Girault
Alors, devenir freelance à la sortie de ses études, bonne ou mauvaise idée ?
"Je développais déjà, en sortie d’études, il y a de grandes chances que tu ne saches pas complètement faire ton travail au niveau technique. Les gens qui sortent d’études sont vraiment très juniors ; il y en a peu qui sortent du lot et arrivent à se débrouiller tout de suite dans une boîte. Sachant ça, et sachant que faire tourner une boîte, c’est aussi faire de la prospection, du marketing, de la relation client etc… effectivement c’est ambitieux, le terme est bien choisi."
"De plus, travailler quelques années en entreprise avant d’être indépendant va t’aider à gagner en expérience sur tous les points que Félix vient d’énumérer, sur comment bien travailler en équipe.
Après, l’indépendance en sortie d’études, ce n’est pas la pire idée du monde non plus.
Par exemple, MyDigitalSchool, une école où j’interviens, je trouve que c’est une bonne école pour ça. Car l’école forme à être un bon membre d’équipe, et même un bon entrepreneur. Ce n’est pas qu’une formation technique de développement web. Avec quelques années d’alternance sous le coude, ça ne me choque pas du tout de tenter.
Avec tout ce qu’il y a à savoir maintenant pour faire un projet web de qualité, je trouve toujours ça ambitieux… Mais pas impossible."
"Quand j’avais commencé en indépendant, je faisais principalement des sites vitrine avec WordPress. C’est envisageable de commencer par ça et pas par une activité de dev ultra expert. Tu peux faire des petits développements qui satisferont largement les gens et pour lesquels tu as des compétences.
Et pour faire un peu de pub, avec mon associé de l’époque on était passé par l’Ouvre-Boîtes, qui propose un modèle pour t’aider à monter une boîte sans rentrer dans le dur tout de suite. C’est une SCOP dans laquelle tu rentres en tant qu’entrepreneur-salarié.
Au début c’est comme si tu avais ta boîte mais tu es salarié chez eux, et ils te forment avec des ateliers à la compta, la gestion d’entreprise, … Ils te délèguent les tâches au fur et à mesure sur 2 ou 3 ans, jusqu’à pouvoir gérer seul ton entreprise. Donc il y a des solutions pour commencer doucement !"
Est-ce que vous avez construit votre parcours professionnel en sachant que vous vouliez être freelance ou salarié ? Ou est-ce que les choses se sont faites par une suite d'opportunités que vous avez saisies ?
Si vous deviez donner un conseil à une développeuse ou à un développeur en devenir ?
"Je lui dirais que ce n’est pas l'aspect technique le plus important. Être un bon développeur c’est être quelqu’un qui sait bien communiquer ses idées, être un bon membre d’équipe, qui garde en tête qu’on ne code pas pour faire « du beau code » mais pour résoudre des problèmes pour des personnes bien réelles. La technique tu l’apprends au fur et à mesure. Après, salarié ou indépendant, ce n’est effectivement pas les mêmes métiers, là je suis indépendant et mine de rien au final, une bonne partie de mon travail ne comporte pas de tâches techniques. Donc si tu es une personne qui n’aime que la technique, ça peut devenir frustrant d’être indépendant, parce que tu as d’autres choses à gérer. Si tu n’aimes que la tech, autant rester salarié, mais si tu aimes bien les clients, les projets, ça peut être intéressant de tenter le freelancing." Emmanuel Pelletier
"L’importance de l’assise technique est une vraie question ! Quand on recrute, on fait plus facilement l’impasse sur la technique que sur l’humain. Chez Empreinte Digitale on s’attache plus à trouver quelqu’un qui a l’air d’être un bon membre ou une bonne membre d’équipe et qui serait vraiment bien intégré, où on sent que le courant passe et que ça va rouler. Ce n’est pas le cas dans toutes les boîtes mais ça devrait.
Ceci dit, il faut quand même faire attention à la technique et avoir une petite assise de base. C’est pour ça qu’il faut faire attention aux formations rapides en développement, certaines sont sérieuses et d’autres sont très accélérées, et quand tu sors c’est compliqué car tu n’as ni une vraie expérience technique, ni eu d’expérience en équipe.
Ce qui est important, c’est d’être curieux et de chercher. Pas besoin d’être une rockstar ! Il faut essayer d’apprendre à apprendre, car il y a beaucoup à apprendre, tout le temps et dans plein de domaines. Mais c’est ce qui fait l’intérêt du métier !" Félix Girault
Interview menée et rédigée par Noémie Bourdon d'Empreinte Digitale.